FESTIVAL DES CONTES D'AUTOMNE
Ma dernière création, un cygne fait avec des matériaux de récupération est digne d'un conte et m'a inspiré cette petite histoire qui commence en Bourgogne et se finit en Pays de Bray. Un grand merci à Adeline qui m'a initié à l'art subtil du conte, à François qui m'a donné cette gaffe et qui l'a contextualisé avec des archives personnelles et à Catherine pour ses encouragements que j'ai repris.
FAIS MOI CYGNE…
Il était une fois, car un conte commence toujours ainsi, un sale type, batelier de profession, appelé par ses confrères, car il n’avait pas d’amis : Jo le Gaffeux. C’était au temps heureux de la batelerie sur le canal de Bourgogne. Son surnom venait du fait qu’il ne se séparait jamais d’une longue gaffe terminée par une sorte de crochet avec une pointe à son extrémité. Celle-ci servait à rapprocher les bateaux sans les abimer. C’était aussi une arme redoutable qu’il utilisait soit comme un bâton ou une lance pour rosser ou repousser tout intrus ou fâcheux. Il avait même donné un nom à son outil : La pousse toi de là. Réputé roublard et porté sur la bouteille, voir violent, il menait une vie de reclus sur sa péniche amarrée au ponton loin en retrait de l’écluse et du centre du village, quand il ne naviguait pas. Les promeneurs sur le chemin de halage évitaient son regard de peur d’être pris à parti.
Ainsi ce beau jour de mai, le temps était calme. Cygnes et canards s’ébattaient le long du bord avant de glisser majestueusement sur l’eau du canal. Un jeune cygne de l’année longeait l’Arrogante, car tel était le nom qu’avait donné Jo le Gaffeux à sa péniche. Celui-ci pour une fois s’était séparé de sa gaffe. Celle-ci était posée négligemment sur le pont. L’extrémité en forme de col de cygne dépassait du bastingage et se reflétait dans l’eau. Le jeune cygne, ému par une telle vision si étrange et si belle à la fois s’est rapproché, a regardé ce cou gracile, ce bec effilé, qui touchait presque à la perfection. Seul bémol, il ne pouvait voir le corps de ce charmant volatil, mais il l’imaginait parfait. Le jeune cygne s’est alors encore rapproché, a voulu s’élever pour en savoir plus, mais un autre reflet, cette fois-ci hostile est apparue à la surface de l’eau stagnante. « Hola, oiseau de malheur, n’approche pas de ma coque ou je t’embroche avec ma gaffe ». Le génie de la rivière, qui est partout et nulle part, surtout là où on ne l’attend pas, sentant un danger réel menacer la vie du pauvre cygne s’exprima de cette façon au travers de l’animal tout surpris de parler désormais comme un humain « Hola batelier, ta vie sera courte si tu t’en prends à moi. Je prendrais corps dans l’arme qui m’a occis et je te survivrais »
Furieux d’un tel propos, le batelier se saisit de sa gaffe et donna plusieurs coups sur la tête puis le corps du cygne jusqu’à ce que celui-ci ne bouge plus et dérive avec le courant vers l’aval. La vie du pauvre cygne avait été bien courte.
La semaine suivante, alors qu’il lavait le pont de sa péniche, Jo le Gaffeux crut entendre un bruit à l’arrière du gouvernail, comme un tronc qui heurtait la coque. Il se pencha, son pied glissa sur le bois mouillé et il tomba à l’eau. Pris dans les algues, il ne put remonter à la surface. Ce fut la fin tragique de Jo le Gaffeux. Personne ne le regretta ni ne le pleura. Le batelier n’ayant point de famille, sa péniche et tout ce qui était à bord resta longtemps sur les bords du canal avant que le service de navigation ne décide de l’évacuer pour éviter qu’elle ne coule. Une vente fut organisée par un commissaire-priseur pour liquider les petits objets et le mobilier contenu dans la péniche. La gaffe et un éteignoir furent rachetés par un brocanteur bourguignon à l’air jovial, amoureux des vieux objets.
L’objet privé de son long manche est demeuré dans une boîte une bonne vingtaine d’année sans voir la lumière. Entre temps, le brocanteur avait déménagé plus au nord en Pays de Bray. Puis ce même brocanteur avait eu besoin de faire de la place. Parmi ses relations, il y avait un artiste qui travaillait avec des objets anciens. Il décida de lui donner ces deux objets, la gaffe et l’éteignoir en lui disant « Dans six heures ou dans six ans, ces objets t’inspireront ». Il avait décelé au premier regard, ce pétillement, synonyme de création à venir dans les yeux de l’artiste.
De retour chez lui, l’artiste alla directement à son atelier. La moitié d'un vieux plumeau l’y attendait depuis des années. Le reste de l’objet avait déjà servi à faire la sculpture d’une autruche. Alors pourquoi pas un cygne ! L’extrémité de la gaffe pourrait très bien représenter le col et la tête du cygne, le plumeau son corps soyeux, souple et tout en volume. Les deux manches s’emboitaient parfaitement comme par enchantement. En moins de trois heures un cygne gracieux, soyeux, majestueux était apparu, trônant fièrement sur l’établi de l’artiste. « La combinaison parfaite du dur et du souple » dira plus tard une amie de l’artiste en voyant la nouvelle sculpture.
La prophétie du génie de la rivière s’était réalisée. Tel un Phoénix, le cygne renaissait de ses cendres pour l’éternité. Tel est le pouvoir de l’art. Il est vain de vouloir faire disparaître la beauté. Elle trouvera toujours au bout d’un moment, une main habile pour réapparaître et triompher. Faire le mal pour le mal n’est jamais profitable…
Cygne
H : 29 cm
métal/fibre plastique/bois (socle)
novembre 2025