« ORNEMENTAL », POURQUOI PAS, MAIS QUE SE CACHE-T-IL EN REALITE DERRIERE CE TERME ?
Mon activité artistique a été qualifiée parfois par certaines instances culturelles « d’ornementale ». Je ne le crois pas car elle est issue d’une réflexion profonde autour de notions philosophiques, de territoire, d’humanité et d éco-responsabilité. D’autres artistes ont abondé dans mon sens. J’ai trouvé cependant intéressant de se pencher sur cette notion de façon plus générale et de l’illustrer avec un de mes tableaux apparemment tout ce qu’il y a de plus « ornemental » intitulé Clématites (à venir)
« Ornemental » claque presque comme une insulte, en tout cas traduit l’expression d’un certain mépris de nos jours dans le monde de l’art. L’œuvre ou le travail classé de la sorte n’a pas d’intérêt artistique majeur. Il est juste bon pour décorer maisons et jardins. Cette vision est une véritable révolution par rapport au passé. Ornemental est l’adjectif correspondant au verbe, orner, décorer, un lieu, un mur pour combler un vide, occuper un espace, apporter une touche personnelle avec un objet qui peut-être ou non une œuvre d’art.
Auparavant, toute peinture rupestre, tout tableau, toute sculpture était ornementale tant dans les grottes préhistoriques où elles avaient une vocation spirituelle, tant dans les églises où elle avait une vocation didactique et édifiante, que dans les châteaux et ce jusqu’au milieu du XXème siècle puis dans la sphère bourgeoise après La Révolution française et le début de la révolution industrielle. L’artiste créait pour la sphère privée ou publique des tableaux agréables à regarder ou mettant en valeur les commanditaires, qu’ils soient rois, grands bourgeois ou particuliers. Une œuvre ornementale contenait toutefois ses propres codes qui en faisait une œuvre parfois chargée de messages, d’intention. Les couleurs, la nature des fleurs d’un bouquet servait à exprimer des sentiments. Mais ornemental dès cette époque, ne voulait pas dire forcément beauté. Certains tableaux volontairement sanglants comme des décapitations avaient une vocation d’édifier l’âme du spectateur et de le faire réfléchir sur sa condition humaine précaire.
Au XIXème siècle, les grands collectionneurs décoraient ainsi leurs maisons de tableaux côte à côte, façon aussi de montrer leur goût et leur richesse comme on a pu le découvrir il y a quelques années à la Fondation Vuitton à Paris avec les photos d’intérieur de la collection Tchoukine ou au château de Chantilly avec la collection du prince de Condé.
La notion de musée est relativement récente, celle de fondation encore plus. Les artistes qu’ils le reconnaissent ou non, parce que c’est une forme de reconnaissance suprême et d’atteindre « une immortalité », à partir du XIXème siècle créent pour rentrer dans les musées. Géricault, de son vivant fera des pieds et des mains pour que Le radeau de la Méduse entre au Louvre. En vain.
L’apparition du Design définit le nouveau champ de la décoration de la maison.
L’Art, « le vrai » est désormais conceptuel, non décoratif, intellectuel, porteur de messages politiques et contestataires ou il ne sera pas pour paraphraser André Malraux. Il doit parler des problèmes sociétaux actuels ; écologie, genre, féminisme. Il doit occuper de grands espaces ou volumes, garder un certain mystère, être déroutant, voir choquant. « Questionner, sinon rien » telle est la devise de Joseph Kosuth, père de l’art conceptuel. Face au flot continu d’images et d’information, qui abreuvent ses contemporains, celui qui a toujours privilégié le concept ou l’idée à la matérialité et l’esthétique estime « qu’un bon spectateur doit créer en s’interrogeant ».
L’art n’est donc plus ornemental. L’art n’a plus besoin d’être beau. Il existe par le message protéiforme qu’il porte et la sensibilisation aux sujets sociétaux qu’il aborde. Il doit être expérimental. Cela est particulièrement vrai dans le Recupart. Des artistes comme Jean-Michel Basquiat ou Ai WeiWei arrivent à aborder les questions de race, de classe, de société pour l’un ou de politique chinoise, de crise, des réfugiés et de la censure pour l’autre avec des peintures sur des portes et panneaux de bois ou avec des accumulations de chaises, de poutres et d’antiquité pour l’autre.
L’ornemental est relégué à des artistes de seconde zone ou artistes du dimanche, à des magasins de décoration d’intérieur ou à de grandes chaînes d’ameublement. L’ornemental a encore du sens uniquement à partir du moment où des artistes reconnus investissent, a contrario de la mode, ce courant artistique ou qu’il occupe un espace imposant comme les colonnes de Buren devant le Palais royal à Paris. Daniel Buren revendique le principe du décoratif dans l’art. Le travail de jeu de lumière qu’il a réalisé pour les serres du palais de l’Elysée en est un exemple. Pour Jean-Michel Othoniel, c’est plus complexe, alors que son travail est parfois qualifié de décoratif. « Le décoratif ne m’intéresse pas. Le coeur de mon travail c’est la beauté. Beaucoup d’images décoratives ne sont pas belles. La beauté, elle, est plus profonde, plus spirituelle, mais aussi beaucoup plus joyeuse ». N’oublions pas dans cette énumération Jeff Koons avec ses Bouquets de tulipes gigantesques.
Globalement, l’art ornemental, s’il a sa place dans les musées couvrant l’histoire de l’art jusqu’à l’art moderne, a beaucoup plus de mal à trouver un espace aujourd’hui dans les galeries, musées ou fondations dédiées à l’art contemporain, auprès des instances pilotant les politiques culturelles sauf à être monumental, réalisé par des artistes iconiques ou soutenu par de grandes galeries. Le paradoxe est que les œuvres d’art contemporains « non ornementales » deviennent une fois accrochées ou installées, des œuvres ornementales, mettant en valeur comme elles sont elle-même mises en valeur par un lieu où elles sont exposées.
Une œuvre d’art, selon les canons artistiques actuels, doit avoir du sens de nos jours et non de la beauté, de la maîtrise technique, ne plus être agréable à l’œil. Claude Monet aurait-t-il pu peindre sa série sur Les meules ou Eugène Boudin, sa série sur Les vaches dans les prés en Normandie ? Auraient-ils été exposés aujourd’hui ? Y-a-t-il un sens caché dans leur sujet ? A priori non, rien que des scènes pastorales banales. Mais derrière le sujet banal, il y toutes les inventions picturales, la peinture sur le motif, bref une vraie révolution artistique. Peut-être donc que derrière ces tableaux qualifiés d’ornementaux, qui ont peu de chances de passer les portes des galeries, tout juste ceux des salons d’art régionaux, il y a aussi non seulement de l’émotion mais aussi une histoire voire une démarche conceptuelle à découvrir. Encore faut-il le vouloir, avoir cette clairvoyance et avoir le courage de refuser de se faire porter par la vague !
Mouillage au pied des falaises
32X17 cm
céramique/bois/ardoise
août 2025
Derrière une banale marine, les falaises évoquent les zones de rupture telles qu'on les vit actuellement dans notre société, les bateaux au mouillage, la notion d'attente qu'il se passe quelque chose. Manque de vent comme manque de sens. La matière, la céramique traduit le regain actuel pour cette matière alors que l'oeuvre entière est réalisée en produits recyclés.