FESTIVAL DES CONTES D'AUTOMNE : LE PASSAGE DES RÊVES FAIT SON OFF
Le Passage des Rêves c'est aussi un jardin, un lieu de toutes les expressions, y compris littéraire, sous forme de poèmes, de contes ou nouvelles liées au lieu du Passage des rêves. Pour cette première, une nouvelle écrite dans l'esprit de Bernard Clavel, sur les bonheurs de l'enfance et du partage ou non, sur nos souvenirs enjolivés, bref un regard sur notre enfance, vus par les adultes que nous sommes devenus. Cette nouvelle est intitulée "Souviens-toi...une enfance de rêve" est inspirée par un fait banal, la taille des framboisiers à l'orée de l'automne dans le jardin attenant au Passage ds Rêves.
Le Festival Les Contes d'automne a lieu dans l'Oise du 8 novembre au 8 décembre 2024.
SOUVIENS-TOI…UNE ENFANCE DE RÊVE
Les comédiens dressent une table imaginaire avec un simple drap blanc tendu au milieu de la rue piétonne. Le plus âgé, lève alors son verre et lance doctement « Souviens-toi ». Les autres convives, le verre à la main et les yeux brillants, lui répondent en écho « Oui, souviens-toi »
Souviens-toi de ces matins, où le père au petit déjeuner, son bol de café terminé, après avoir jeté un coup d’œil par la fenêtre, lançait tout aussi doctement avec un air malicieux « Aujourd’hui on zigouille les framboisiers ». C’était un jour spécial, celui de la taille des framboisiers, la fin d’une douce période où pendant deux mois on avait des framboises à profusion à la maison. « Un plat de riche et dire qu’on en mange tous les jours. Serions-nous des nantis ? » s’amusait-t-il à répéter tous les jours, peut-être pour nous aider à supporter la pauvreté. Cette taille, était aussi le signal de l’entrée dans un long hiver. Les pommes récoltées aideraient à tenir un temps mais sans savoir jusqu’à quand. Le jardin allait se recouvrir des brumes et le froid deviendrait intense.
Les plants de framboisiers poussaient un peu partout dans le jardin. Dès qu’une pousse surgissait hors de la plante bande, mon père la replantait ailleurs. Les plante bandes « officielles » se trouvaient principalement dans un long couloir entre deux voisins que mon père appelait pompeusement « le jardin de curé » et dans un carré, composé de quatre plante bandes plantées autour d’un pommier que mon père appelait le cloître depuis qu’il avait érigé un semblant de muret sur deux des côtés du carré.
Cela faisait déjà plusieurs jours que les framboisiers donnaient moins. Fini les grands bols qui débordaient chaque jour après la récolte quotidienne. Les bols étaient jaunes, Avec les fruits à l’intérieur, cela faisait un effet superbe, digne d’être immortalisé par une nature morte. Les framboises étaient désormais plus petites, moins sucrées, avec un arrière-goût acidulé. Taillés « sommairement », ils étaient montés en pied, surtout dans le passage à la recherche de la lumière, ce qui n’empêchait pas de produire abondamment. Cette année, la récolte avait été exceptionnelle. Les framboisiers dépassaient du mur du voisin dans le jardin de curé et devaient leur faire envie tant les grappes de petits fruits rouges étaient nombreuses. A la belle saison, je me rappelle du ballet incessant des abeilles butinant les petites fleurs blanches. Quelques escargots graciles y tenaient banquet provoquant la colère de mon père.
Dans « le cloître », pour nous enfants, les framboisiers étaient à la fois une muraille de verdure, un labyrinthe et une jungle, les branches alourdies de fruits obstruant les étroites allées. Depuis le mois de mai et l’arrivée des beaux jours, synonyme de montée de la sève, on s’était habitué à cette muraille de verdure. Elle allait nous manquer.
Le petit déjeuner pris, chaussés de bottes, on partait en campagne. Il fallait d’abord préparer les outils, au premier rang desquels le sécateur, et sortir les grands sacs pour les déchets verts. Mon père qui avait fait un peu de latin, me rappelait chaque année que le mot sécateur venait du latin secare qui signifiait couper. Moi, qui me passionnais pour La Révolution française, j’y voyais des guillotines. Les branches tombaient les unes après les autres, comme les têtes à l’époque de la Terreur, accompagné du bruit sec du sécateur qui rythmait notre travail. Mon père relevait de temps en temps le buste et contemplait le travail fait tel un Napoléon le soir d’Austerlitz. Pour moi, petit soldat, ou plutôt petite main, il y avait un intérêt, Dans chaque campagne, il y a rapine et pour moi, c’était de cueillir et évidemment de manger les dernières framboises de l’année, celles qui avaient échappé à la récolte de la veille et dont le goût nous accompagnerait tout l’hiver. Et tant pis si la framboise n’était pas tout à fait mure. J’avais une technique infaillible : couper la tige puis remonter du regard du pied jusqu’au sommet à la recherche d’un petit point rouge, synonyme d’un petit plaisir. Chaque découverte était synonyme d’un petit bonheur et cette somme de petits bonheurs nous inondait de joie.
La jungle s’éclaircissait petit à petit. Mon père qui était plutôt un « anarchiste ordonné » ce qui n’était pas de moindre de ses paradoxes, se délectait. « A droite, à gauche, un peu plus haut, un peu plus bas » Les ordres fusaient. Les petites mains s’exécutaient. Taillées à trente centimètres du sol, les tiges de framboisiers ressemblaient à des piques et les rangées à des phalanges spartiates, ce qui faisait beaucoup rire mon père. Il se voyait aux Thermopiles repoussant les Perses. Tout retrouvait un ordonnancement très militaire, perdu pendant la période estivale.
Les sacs de déchets verts se remplissaient rapidement, un, puis deux, puis trois jusqu’à quatre. Les tiges cuivrées, découpeés en petits morceaux, ressemblaient à des mikados. Les branches brillaient de mils feux même au pâle soleil de novembre. Leur agencement dans le sac, évoquait pour moi les tableaux abstraits entrevus dans Beaux-Arts Magazine, mensuel que lisait avec assiduité mon père.
La taille des framboisiers devenait une fête qui faisait oublier la fatigue et les gestes répétitifs. Bien sûr, il y avait des victimes collatérales, les tiges des roses trémières entremêlées aux branches des framboisiers, mais déjà fanées depuis longtemps, les branches de lavandes en face des framboisiers, qui se permettaient de dépasser de la bordure « De l’’ordre que diable ! » lançait mon père. Un pauvre escargot qui passait par là, sans rien demander à personne, fut même écrasé par le pied énergique de mon père, exécuteur des basses œuvres tel un Robespierre. Lui et toujours lui à la manœuvre.
La tristesse de dire adieu à nos desserts était vite effacée par la redécouverte d’espaces qu’on avait oubliés avec la pousse des framboisiers. Le mur mitoyen avec les voisins dans le passage retrouvait sa couleur de pierre et l’aspérité du crépi qui le recouvrait. Déjà les tiges du jasmin d’hiver et la petite glycine, prenaient le relais et escaladaient les treilles auxquelles étaient attachées les pieds de framboisiers quelques heures avant. « Le cloître » avait quant à lui perdu de sa « verticalité » pour devenir plus horizontal, plus dégagé, plus lisible. En nettoyant les branches restées dans les allées, je me souviens la surprise et le bonheur de voir pousser les premières feuilles d’oseille, promesse de bonnes soupes à venir. Cette découverte faisait vite oublier les desserts sucrés, avec parfois trop de sucre, les montagnes de chantilly qui coiffaient les collines de framboises. Mon père, un peu artiste disait que cela lui rappelait le Mont Fuji.
La taille « sévère » s’accompagnait toujours ensuite du désherbage au pied des framboisiers, épreuve redoutée car il fallait affronter les terribles orties. J’avais beau faire attention, je me piquais toujours. « Je t’avais dit de mettre des gants ! » me disait ma mère quand je venais chercher du réconfort dans ses bras. Le désherbage terminé, il fallait déverser sur la plate-bande, la brouette de bonne terre récupérée dans le composteur. Heureusement, c’était ma grande sœur qui s’en occupait. « Il faut savoir se préparer à l’an prochain sans attendre le lendemain. Ce qui est fait n’est plus à faire » lançait mon père jamais avare de proverbe.
Le froid arrivait en cette fin d’après-midi comme un signal de repli. Encore fallait-il rentrer les sacs de déchets verts dans le garage en attendant de les évacuer à la déchetterie. Cette manipulation apparemment toute simple, ne l’était pas franchement et je la redoutais à plus d’un titre. Il fallait en effet porter et non traîner les sacs qui pesaient « une tonne », car il ne fallait pas user le fond des sacs en les frottant avec le sol. « Les sacs de déchets verts coûtent cher, on ne va pas en acheter tous les jours » disait mon père « Et puis surtout évite de salir la terrasse balayée par maman. Respectons son travail ». Il fallait donc éviter cette zone interdite quitte à faire un détour.
Enfin la porte du garage se refermait. La mission était accomplie. Un plein d’histoire à raconter aux copains demain, jour de rentrée des vacances de la Toussaint, envahissait déjà ma tête. Un chocolat chaud nous attendait dans la cuisine. Une histoire presque vraie à une exception près. C’est moi le père et il n’y avait aucune petite main pour aider. Une histoire que j’aurais oh combien voulue être réelle. Un souvenir rêvé, une histoire brodée, un regard de l’enfant qui sommeille encore un peu au fond de moi, au fond de nous tous.